Quelles transformations pour le métier des “Nouveaux DirCom” ?

On 1 juin, 2023
11 min

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La digitalisation amène les Dircom à travailler dans l’instantanéité permanente et renforce la transversalité de leur fonction. Ces compétences de plus en plus larges consolident leur rôle stratégique et analytique. Ce qui brouille de plus en plus les frontières entre communication interne et externe.

La digitalisation des entreprises et l’influence des réseaux sociaux sur l’opinion viennent révolutionner le monde de la communication. Au milieu de ces chamboulements, un métier continue d’exister en évoluant en permanence : celui de Directeur de la communication. Bien antérieur à la digitalisation massive des années 2000, le « Dircom » doit aujourd’hui assumer des responsabilités aussi diverses que l’image de marque en ligne, le référencement, la communication de crise, les campagnes de publicité, la communication interne, l’employee advocacy ou les relations presse. Du secteur public au secteur privé, le Directeur de la communication est devenu un acteur indispensable de tout secteur d’activité. Assumant un rôle de chef d’orchestre de plus en plus complexe, évolutif et diversifié.

Quel mode de communication pour les Dircom?

Des tweets au posts Facebook, l'information peut prendre une ampleur massive en quelques minutes. La digitalisation semble avant tout avoir créé une accélération massive des modes de communication.

« Ce qui a profondément changé dans mon quotidien, c’est l’instantanéité qui amène à travailler en permanence en mode crise, ça devient notre mode de travail, qu’il faut aujourd’hui repenser avec cette instantanéité » raconte Frédéric Fougerat (Dircom de Foncia)

« Auparavant, notre public clé était les relais d’opinion. Depuis quelques années, il s’est élargi à nos utilisateurs et à nos clients. Avec lesquels nous écoutons et nous échangeons au quotidien. Les réseaux sociaux ont rebattu les cartes en leur permettant de s’exprimer sur nos services 24h/24 et 7j/7. Un profond changement dans notre métier et dans la construction de la réputation de notre entreprise ! » explique Delphine Penalva (Dircom de Solocal).

« Ce qui a changé, c’est la rapidité avec laquelle on communique et la multiplication des canaux sur lesquels on s’exprime. Cela nous impose une cohérence renforcée, ainsi que des choix de plus en plus radicaux et de plus en plus disciplinés », analyse Béatrice Mandine (Dircom d'Orange).

« Il y a un aspect chef d’orchestre à notre travail. Aujourd’hui, il y a un accès très facile et plus important aux technologies, dont nos salariés se saisissent. Ils peuvent avoir l’impression d’acquérir un pouvoir d’influence assez important en ligne. Si on ne parvient pas à les convaincre de l’intérêt de la cohérence dans la communication de l’entreprise, on peut les perdre », explique Jérôme Chambin (Dircom de GRDF).

« Dans une grande entreprise, on ne peut pas communiquer sur tout ce qu’on fait, autrement on deviendrait inaudible. Heureusement, il y a des filtres, et le directeur de la communication joue ce rôle de filtre. Il faut jouer sur la cohérence des messages. » Béatrice Mandine (Dircom d'Orange)

Avec des prises de paroles accélérées et démultipliées, les Dircom interviennent sur des sujets de fond plus divers. La transversalité de leur activité devient donc essentielle à l’exercice de leur métier.

« Au fil des années, mon métier est passé d’exécutant support à une fonction stratégique », expose Frédéric Fougerat (Dircom de Foncia).

« Cette notion de transversalité est fondamentale à notre mission. Cela est d’autant plus important qu’il arrive encore que nous soyons considérés comme un partenaire qui intervient en bout de chaîne. Or, nous avons besoin d’avoir des informations le plus en amont possible », poursuit Nathalie Lahmi (Dircom d'Allianz France).

Pour mieux parvenir à cette transversalité, elle regroupe des groupes de dix personnes, de différents corps de métiers (business, marketing) pour qu’ils élaborent ensemble des projets de communication.

« La transversalité doit nous permettre de travailler de manière cohérente et coordonner nos actions de communication afin de renforcer l’image de la marque », développe-t-elle.

Transversalité et stratégie pour le métier de Dircom

Une transversalité tellement poussée qu’elle amène les Dircom à se questionner sur le périmètre exact de leur activité. « Dans certains cas on passe de la communication au marketing. Lorsqu’on doit analyser tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux pour développer un projet, on s’éloigne beaucoup de la communication pure. On a un rôle d’anticipation et d’analyse qui devient très important », analyse Olivier Dery (Dircom d'Ariane Group).

« Je trouve qu’au contraire dans mon entreprise la communication se distingue assez bien du marketing. Mon travail est de reconstituer une image de marque cohérente. La marque est un outil dont j’ai la charge, un outil dont je prends soin pour que le marketing puisse vendre le mieux possible », répond Béatrice Mandine (Orange). « Le marketing et la communication sont deux domaines différents, mais il est vrai qu’ils se rapprochent de plus en plus et que les frontières deviennent parfois assez floues », nuance enfin Nathalie Lahmi (Dircom d'Allianz France).

« C’est un métier qui s’est énormément enrichi avec un élargissement des compétences. Il faut que nous apprenions à avoir des métiers partageables, à accepter que les autres viennent sur notre territoire et inversement. » Marianne de Battisti (Dircom d'ICADE)

Avec des compétences de plus en plus larges et au périmètre variable, le métier du Dircom et sa véritable plus-value dans la chaîne de valeur peuvent être également questionnés. Il semble justement qu’un tel élargissement recentre l’activité sur son aspect le plus analytique et stratégique. « Même si tout le monde peut prendre la parole, il reste un réflexe qui consiste à aller voir le directeur de la communication pour connaître le purpose –la raison d’être –de l’entreprise. Cette mise en cohérence n’existerait pas sans le dircom », expose Marianne de Battisti (Dircom d'ICADE).
 
« Notre métier s’est professionnalisé, il est pris beaucoup plus au sérieux qu’avant. Il y a de moins en moins de personnes qui nous prennent uniquement pour des prestataires de service », ajoute Anne-Élisabeth Mourey (Dircom de Solvay).
« C’est un métier que beaucoup de personnes pensent pouvoir faire mieux que nous. Or, un directeur de communication a une idée précise de comment il faudrait communiquer, et il ne le décide pas a posteriori », poursuit Béatrice Mandine (Dircom d'Orange).
« C’est un métier qui devient très stratégique à partir du moment où on est très lié au business. Il faut que nos compétences changent, et qu’on ait cette casquette de fond très importante », précise également Nathalie Dray (Dircom de Walt Disney Company).

Cohérence et engagement

L’enjeu principal pour un Dircom est la capacité à délivrer un message cohérent, que ce soit dans les publicités, interviews dans la presse ou la communication interne.

« Les sujets sur lesquels nous intervenons sont de plus en plus nombreux. Et il faut décider sur quel canal diffuser une information qui est au départ unique », raconte Nathalie Lochet (Dircom d'AFNOR).

Cette multiplication des modes de communication amène à une multiplication des contenus que les dircom doivent structurer et industrialiser dans leur globalité.

« L’enjeu, c’est de canaliser tout ça pour créer une amplification des messages. Il faut créer des synergies avec les autres services, c’est là toute la force du métier », analyse Alexia Lefeuvre (Dircom de Rakuten).

« Ce qui compte in fine, c’est l’image. C’est ce qu’on doit protéger et renforcer », résume Julien Goubault (Dircom de Klepierre)

« Quels que soient les canaux et le niveau de publicité, il faut qu’il y ait un seul et même message partout. Sinon, il n’y a pas de cohérence, et donc pas de force. » Julien Goubault (Dircom de Klepierre)

L’une des conséquences directes de l’accessibilité aux plateformes est la facilité des employés à s’exprimer sur les activités de l’entreprise. Le risque est de brouiller la cohérence des messages. Difficile à contrôler, cette prise de parole est de plus en plus anticipée en amont par l’employee advocacy. Ce mécanisme par lequel l’entreprise mobilise ses salariés pour devenir ses ambassadeurs, à la fois à l’intérieur et en dehors de leur cadre de travail.

« En interne, en cultivant l’employee advocacy, on est passé à une communication d’engagement. La digitalisation a renforcé cet aspect-là dans la communication interne. Ça enrichit notre poste et suscite de l’intérêt auprès des dirigeants, car cela permet de cultiver la fierté d’être dans l’entreprise, surtout auprès des jeunes générations qui arrivent sur le marché avec un certain détachement », explique Jérôme Chambin (Dircom de GRDF).

« Aujourd’hui, on est sans arrêt dans le collaboratif. Quand on est l’élément le plus transversal de l’entreprise, le meilleur service qu’on puisse rendre à sa direction, c’est d’entretenir ce collaboratif. Si ça se passe bien à l’intérieur, ça va se sentir à l’extérieur. Les employés vont venir chercher de l’information, et des messages cohérents pour les relayer », poursuit Marianne de Battisti (Dircom d'ICADE).

« Notre rôle c’est de donner du sens à l’engagement dans une utilité et une industrie. Les employés sont avant tout attachés à la marque. Le service que je dois rendre à l’entreprise, c’est d’engager autour du discours de la direction », ajoute Jérôme Chambin (Dircom de GRDF).

Pour parvenir à susciter cet engagement, GRDF se base par exemple sur un réseau social interne d’entreprise créé en 2010. Celui-ci revendique aujourd’hui 10 500 inscrits sur 12 000 collaborateurs et un taux d’utilisation de 85%. L’entreprise a également créé un fil twitter où environ 4500 employés envoient des photos de leur travail sur le terrain.

« Nous sommes une entreprise qui n’a pas de gros moyens en communication, cependant nous avons des salariés très engagés qu’on sait mobiliser », analyse Jérôme Chambin.

« Aujourd’hui, nos collaborateurs sont très compréhensifs, ils ont compris que tout cela était dans l’intérêt du business », ajoute Alexia Lefeuvre (Dircom de Rakuten).

« Nos projets de transformation sont participatifs et nous créons des groupes de travail pour les mener à bien. Au sein de ces équipes transverses, chacun réfléchit très tôt à la manière dont il va communiquer sur ce qu’il est en train de faire. Donner la parole à tout le monde, c’est utile et c’est inspirant, mais il est prioritaire de se concentrer sur le fond du travail et sur sa qualité opérationnelle avant de parler tout de suite de plan de communication » nuance quant à elle Delphine Penalva (Dircom de Solocal).

Les réseaux sociaux et les GAFA changent la donne

Avec un engagement central des salariés dans les nouvelles stratégies, la communication interne entre de façon directe dans le champ de compétences des Dircom. Cela vient brouiller les frontières avec la communication externe.

« Aujourd’hui, la communication interne fait partie de mon périmètre, et il y a une vraie porosité entre interne et externe. On ne fait plus du tout la différence en terme organisationnel, on parle de content management », raconte Anne-Elisabeth Mourey (Dircom de Solvay).

« Dans une entreprise comme la nôtre, la communication interne est un enjeu essentiel mais difficile, car on arrive au stade où nous avons cinq générations de salariés qu’il faut harmoniser », explique quant à elle Nathalie Dray (Dircom de Walt Disney Company).

« Quand on observe l’interne répondre aux utilisateurs sur les réseaux sociaux pour défendre spontanément l’entreprise, on se rend compte que notre métier est profondément révolutionné. » Delphine Penalva (Dircom de Solocal)

Aujourd'hui, est offerte la possibilité aux salariés de s’exprimer sur leur activité. Mais les nouveaux niveaux d’interaction entre l’entreprise, les utilisateurs et les clients, les réseaux sociaux viennent brouiller ces frontières.  La communication interne et externe est aujourd'hui beaucoup plus prononcée. De la Social Data au monitoring, en passant par la publicité, les opportunités qu’ils offrent sont mesurées avec pragmatisme.

« Aujourd’hui, on est moins dans le monologue. Les réseaux sociaux nous permettent d’arriver avec des données chiffrées, d’identifier les stratégies qui fonctionnent, d’anticiper les tendances et les crises », raconte Olivier Dery (Dircom d'ArianeGroup).

« Dans des entreprises où la communication a été sous-évaluée pendant longtemps, nous allons avoir besoin d’encore plus de metrics. Et pour cela, l’apport technologique est un vrai plus. Cela nous permet d’être plus précis et de convaincre davantage », ajoute Nathalie Lahmi (Dircom d'Allianz France).

Avec les outils de social listening, les entreprises peuvent mesurer l’efficacité de leur communication, identifier des tendances ou crises. Allianz communique par exemple tous les mois à sa direction un rapport de e-réputation.

« Nous rapportons le nombre de mentions, mais aussi la tonalité des sujets abordés et le niveau d’engagement de l’audience. Cela génère toujours des discussions en retour, car les dirigeants ont parfois une perception différente des choses avec leur propre veille. Par exemple, nous ne sommes pas toujours les premiers en termes de volumes de mentions, mais nous avons des résultats très positifs quant à la tonalité et le niveau d’engagement de ces mentions », raconte Nathalie Lahmi (Dircom d'Allianz France).

« Il faut être attentif aux réseaux sociaux, mais ce qui s’y passe n’est pas toujours essentiel. Pour moi c’est la différence entre le bavardage et la parole. Écrire un discours reste notre cœur de métier et notre compétence principale », nuance cependant Julien Goubault (Dircom de Klepierre).

« Pour moi l’enjeu, c’est justement de faire des réseaux sociaux autre chose que du bavardage. Grâce à notre employee advocacy, on a une qualité du propos impressionnante sur les réseaux sociaux. Écrire un discours c’est une chose, mais c’est encore plus difficile de faire en sorte que les gens se l’approprient et le partagent », ajoute Nathalie Dray (Dircom de Walt Disney Company).

« Ne compter que sur les personnes qui vont s’exprimer sur les réseaux sociaux ne suffit pas. Il faut proposer des contenus. On est rapidement passé d’une époque où on publiait un post Facebook tous les dix jours à dix posts par jour. Nous avons donc besoin de personnes de plus en plus spécialisées pour chaque canal, et on réfléchit à de l’intelligence artificielle faible pour la création de contenus. » Anne-Elisabeth Mourey (Dircom de Solvay)

Au-delà de la digitalisation, le métier de directeur de la communication a également été bouleversé par l’arrivée des GAFA, avec un mode de communication qui leur est très spécifique souligne Jérôme Lascombe (Dircom de Wiztrust). Par exemple, le secteur de l'aérospatial. Le groupe Ariane a été challengé par l’arrivée des fusées SpaceX d’Elon Musk, des drones Titan de Facebook et bien d'autres.

« Face à eux, on ne peut pas ne rien dire. Elon Musk a la possibilité de communiquer de manière légère sur ses échecs. Alors que nous ne pouvons pas forcément nous le permettre. La principale différence est que nos dirigeants sont des salariés. Pourtant les patrons des GAFA sont des personnalités qui incarnent leur société, et qui ont la possibilité de faire ce qu’elles veulent sans trop se préoccuper des actionnaires. Finalement, le fait qu’ils incarnent autant oblige tout le monde à se positionner. Au niveau du discours, ça nous pousse », analyse Olivier Dery (Dircom d'ArianeGroup).

« C’est vrai que la présence de dirigeants aussi emblématiques change la donne. Mais ça crée aussi une culture d’entreprise différente. Mes alter ego chez les GAFA ont une liberté de manœuvre quasi égale à zéro. Je ne les ai vus évoluer que dans une seule direction, qui est très serrée. La limite culturelle de ce modèle c’est qu’ils ne peuvent pas se permettre d’avoir une crise comme celle de Cambridge Analytica pour Facebook, ou du RGPD pour Google », ajoute Marianne de Battisti (Dircom d'ICADE).

Le métier de directeur de la communication traverse sans cesse des révolutions et des remises en question. Ces transformations permettent de mesurer l'activité en fonction du secteur d’activité et de sa culture d’entreprise.

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